Introduction
La France traverse actuellement une période économique particulièrement délicate qui bouleverse profondément les stratégies de recrutement dans le secteur financier. Avec une croissance en berne et une hausse inquiétante des défaillances d'entreprises, les acteurs de la finance - banques, assurances, sociétés de gestion et cabinets de conseil - doivent repenser leurs approches RH dans un environnement en constante mutation.
Cette nouvelle réalité du marché de l'emploi financier exige des professionnels du recrutement une adaptation rapide et stratégique. Comment naviguer efficacement dans ce contexte économique instable ? Quelles sont les compétences désormais prioritaires ? Comment attirer les meilleurs talents malgré les contraintes budgétaires ?
Dans cet article, nous analysons en profondeur l'impact de la crise économique de 2024 sur les pratiques de recrutement dans le secteur financier français, et proposons des stratégies concrètes pour transformer ces défis en opportunités.
1. La situation économique française en 2024 : un tableau préoccupant
Une croissance atone aux multiples conséquences
L'économie française peine à retrouver un souffle dynamique en 2024. Avec une progression du PIB limitée à seulement 0,5% en moyenne annuelle selon l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), la France affiche une performance nettement inférieure à son potentiel de croissance pré-pandémique.
Cette stagnation économique s'explique par plusieurs facteurs convergents :
- Une demande intérieure affaiblie par l'érosion du pouvoir d'achat des ménages
- Des investissements en berne dans plusieurs secteurs industriels clés
- Un contexte géopolitique instable pesant sur les échanges commerciaux
- Des taux d'intérêt maintenus à des niveaux restrictifs par la BCE
Pour le secteur financier, traditionnellement sensible aux variations macroéconomiques, ces indicateurs constituent un signal d'alerte majeur qui influence directement les politiques d'embauche.
Le spectre des faillites d'entreprises
L'un des symptômes les plus alarmants de cette fragilité économique réside dans l'explosion des défaillances d'entreprises. Avec près de 67 000 faillites enregistrées en 2024 - un record depuis plus d'une décennie selon les données de Beaboss - le tissu économique français subit une restructuration douloureuse qui menace directement l'emploi.
Ces défaillances représentent environ 250 000 postes concernés, contre 150 000 avant la crise sanitaire d'après les analyses de Rexecode. Le secteur financier, bien que généralement plus résistant aux chocs économiques, n'est pas immunisé contre cette tendance, notamment dans ses branches les plus exposées comme le crédit à la consommation ou les services financiers aux PME.
2. Les transformations profondes du marché de l'emploi financier
Le repli généralisé des intentions d'embauche
Les intentions de recrutement ont connu un net fléchissement en 2024, avec une diminution de 8,5% par rapport à l'année précédente, comme le révèle une enquête approfondie menée par France Travail et relayée par Option Finance. Ce recul significatif ramène le volume global des projets d'embauche à un niveau comparable à celui observé en 2019, effaçant ainsi les gains enregistrés post-pandémie.
Dans le secteur financier spécifiquement, cette tendance se manifeste par :
- Une réduction des campagnes massives de recrutement traditionnellement lancées par les grands groupes bancaires
- Un allongement du cycle de recrutement, passant en moyenne de 6 à 9 semaines
- Une hausse des exigences en termes de polyvalence et d'adaptabilité des candidats
- Un recours accru à la mobilité interne avant d'envisager des recrutements externes
Cette prudence accrue est particulièrement visible dans les fonctions supports et les services généraux, tandis que certains métiers spécialisés (risques, conformité, data science) continuent de faire l'objet d'une demande soutenue.
La précarisation progressive des contrats de travail
L'une des évolutions les plus marquantes concerne la nature même des contrats proposés. La part des CDI dans les intentions de recrutement a chuté drastiquement, passant de 54,3% en 2023 à seulement 38,2% en 2024 selon les données publiées par Le Monde.
Cette transformation structurelle du marché de l'emploi financier se traduit par :
- Une augmentation significative des contrats à durée déterminée (CDD), notamment sur des missions de 6 à 12 mois
- Un recours plus fréquent à l'intérim qualifié, y compris pour des postes d'encadrement intermédiaire
- Le développement de formules hybrides comme le CDI intérimaire ou le portage salarial
- L'essor du freelancing dans des domaines auparavant réservés aux salariés permanents (analyse financière, conformité réglementaire, etc.)
Pour les candidats, cette évolution implique une adaptation majeure de leurs attentes et stratégies de carrière, avec une valorisation croissante de la flexibilité et de l'employabilité à long terme.
3. Les spécificités du recrutement financier en période de crise
Un calendrier de recrutement perturbé
Le secteur financier obéit traditionnellement à des cycles de recrutement bien établis, avec des périodes de forte activité en début d'année et après la rentrée de septembre. Or, 2024 marque une rupture avec ces schémas habituels.
L'afflux de nouvelles offres d'emploi dans la finance, généralement dynamique dès la fin du premier trimestre, a connu un retard significatif comme le souligne une analyse publiée par l'Agefi. Cette désynchronisation reflète l'incertitude des institutions financières quant à leurs projections d'activité et leurs besoins en ressources humaines.
Concrètement, cette perturbation du calendrier se manifeste par :
- Des processus de validation budgétaire plus longs et plus complexes
- Des recrutements déclenchés "à la demande" plutôt que planifiés annuellement
- Une concentration des embauches sur les périodes de concrétisation des projets
- Une réduction des programmes de "graduate" au profit de recrutements ciblés de profils expérimentés
Pour les candidats comme pour les recruteurs, cette nouvelle temporalité exige une veille permanente et une capacité d'action rapide lorsque les opportunités se présentent.
Les tensions persistantes sur certains profils spécialisés
Paradoxalement, malgré le ralentissement global des embauches, les difficultés de recrutement demeurent une réalité tangible pour de nombreuses institutions financières. En novembre 2024, 31% des entreprises tous secteurs confondus signalaient des difficultés à recruter selon la Banque de France, un chiffre certes en baisse par rapport aux mois précédents mais qui reste significatif.
Dans le secteur financier, ces tensions se concentrent particulièrement sur :
- Les métiers de la conformité et des risques : L'inflation réglementaire continue d'alimenter une forte demande pour des profils maîtrisant les dernières évolutions normatives (Finance Durable, DORA, RGPD renforcé)
- Les spécialistes de la data et de l'IA financière : La transformation digitale s'accélère paradoxalement en période de crise, creusant l'écart entre l'offre et la demande de compétences avancées en analyse de données et en intelligence artificielle appliquée à la finance
- Les experts en restructuration et redressement : La multiplication des situations financières tendues génère un besoin accru en professionnels capables d'accompagner les entreprises en difficulté
- Les profils hybrides finance-technologie : À l'intersection des compétences financières traditionnelles et des nouvelles technologies (blockchain, finance décentralisée, automatisation des processus)
Cette dualité du marché – entre prudence généralisée et pénurie sur certains segments – complexifie considérablement la tâche des directions des ressources humaines et valorise l'expertise des cabinets de recrutement spécialisés.
4. Les facteurs structurels derrière les difficultés de recrutement
L'inadéquation croissante entre formations et besoins du marché
L'une des causes fondamentales des tensions persistantes sur le marché du travail financier réside dans le décalage entre les cursus de formation et les compétences réellement attendues par les employeurs. Selon une étude approfondie de la Banque de France, cette discordance constitue un facteur majeur d'inefficience dans le processus de recrutement.
Cette inadéquation se manifeste à plusieurs niveaux :
- Des programmes académiques encore trop théoriques face à des attentes professionnelles de plus en plus pratiques
- Une intégration insuffisante des nouvelles technologies dans les formations financières traditionnelles
- Un déficit d'enseignement des compétences comportementales (soft skills) pourtant de plus en plus valorisées
- Une difficulté à former rapidement aux nouveaux cadres réglementaires en constante évolution
Pour les recruteurs, cette situation impose de repenser les critères de sélection en privilégiant davantage le potentiel d'adaptation et la capacité d'apprentissage plutôt que les seules qualifications formelles.
L'impact psychologique de l'incertitude économique
Au-delà des aspects purement économiques, la crise actuelle génère un climat d'incertitude qui affecte profondément les comportements tant des employeurs que des candidats.
Du côté des institutions financières, cette incertitude se traduit par :
- Une aversion accrue au risque dans les décisions de recrutement
- Une préférence marquée pour les profils immédiatement opérationnels
- Un allongement des périodes d'essai et une multiplication des étapes de validation
- Une réticence à s'engager sur des packages de rémunération à long terme
Parallèlement, les candidats développent également de nouvelles attitudes :
- Une prudence accrue dans les changements de poste, avec un "effet de gel" pour les professionnels déjà en poste
- Une attention renforcée à la solidité financière et aux perspectives des employeurs potentiels
- Des exigences plus marquées en termes de sécurité de l'emploi et de qualité de vie au travail
- Une valorisation des entreprises ayant démontré leur résilience lors des crises précédentes
Cette double prudence crée un marché de l'emploi paradoxal où offres et demandes existent mais peinent à se rencontrer efficacement.
5. Stratégies adaptatives pour le recrutement financier en 2024-2025
Repenser les approches de sourcing et d'attraction des talents
Face aux défis actuels, les acteurs du recrutement dans le secteur financier doivent innover dans leurs stratégies d'identification et d'attraction des candidats :
- Développer une approche proactive de "talent pooling" : Constituer et entretenir un vivier de talents qualifiés, même en l'absence de besoin immédiat, pour pouvoir réagir rapidement lorsque les opportunités de recrutement se présentent
- Valoriser la marque employeur autour de la résilience : Communiquer sur la solidité de l'entreprise face aux crises et sa capacité à offrir des perspectives de carrière même en environnement économique incertain
- Optimiser les parcours de candidature : Simplifier et accélérer les processus de recrutement pour ne pas perdre les candidats de qualité qui demeurent en position de force sur les segments en tension
- Mobiliser les réseaux d'anciens et de partenaires : Activer systématiquement les recommandations internes et les réseaux professionnels pour accéder aux "talents cachés" qui ne sont pas en recherche active
- Investir dans l'intelligence artificielle de recrutement : Utiliser les outils de matching avancés pour identifier les profils dont les compétences sont transférables vers les postes difficiles à pourvoir
Ces approches permettent non seulement d'élargir le vivier de candidats potentiels mais aussi d'accroître l'efficience globale du processus de recrutement.
Investir dans la formation et la reconversion interne
Pour surmonter les difficultés liées à l'inadéquation des compétences disponibles sur le marché, les institutions financières gagnent à renforcer leurs dispositifs de développement interne :
- Mettre en place des académies d'entreprise : Créer des programmes de formation continue spécifiquement adaptés aux besoins évolutifs de l'organisation
- Développer des parcours de reconversion : Accompagner la mobilité des collaborateurs des fonctions en décroissance vers les métiers en tension par des formations certifiantes
- Implémenter des programmes de mentorat croisé : Faciliter la transmission des savoirs entre générations et entre départements pour développer la polyvalence
- Créer des "skill accelerators" : Proposer des immersions temporaires dans des projets innovants pour développer rapidement de nouvelles compétences en situation réelle
- Valoriser l'auto-formation : Encourager et reconnaître les initiatives personnelles de développement professionnel par des systèmes de validation des acquis de l'expérience (VAE)
Cette stratégie d'"insourcing" des compétences permet non seulement de répondre aux besoins immédiats mais aussi de renforcer l'engagement des collaborateurs en leur offrant des perspectives d'évolution malgré le contexte économique difficile.
Renforcer les partenariats avec l'écosystème éducatif
Le développement de collaborations structurées avec les établissements d'enseignement constitue un levier stratégique pour réduire progressivement l'inadéquation entre formation et besoins du marché :
- Co-construire des programmes de formation : Participer activement à la conception des cursus pour garantir leur adéquation avec les réalités professionnelles
- Développer l'alternance qualifiante : Renforcer les dispositifs d'apprentissage et de professionnalisation pour former des jeunes directement opérationnels
- Créer des chaires d'entreprise : Financer des programmes de recherche appliquée sur les problématiques émergentes du secteur financier
- Organiser des immersions professionnelles : Proposer aux enseignants des périodes d'observation en entreprise pour actualiser leur connaissance des pratiques professionnelles
- Mettre en place des certifications conjointes : Développer des validations de compétences reconnues à la fois par le monde académique et professionnel
Ces initiatives contribuent à créer un écosystème vertueux qui améliore progressivement l'adéquation entre l'offre et la demande de compétences sur le marché de l'emploi financier.
6. Les opportunités cachées de la crise pour le recrutement financier
La disponibilité de talents auparavant inaccessibles
Paradoxalement, la crise économique offre également des opportunités inédites pour les recruteurs attentifs. La réduction des effectifs dans certaines institutions et la prudence accrue des professionnels créent une disponibilité temporaire de profils habituellement difficiles à attirer :
- Talents issus de la restructuration des grands groupes : Des professionnels expérimentés se retrouvent sur le marché suite aux plans d'économies mis en place par les acteurs majeurs du secteur
- Experts internationaux plus ouverts à la mobilité : La contraction de certains marchés étrangers (notamment Londres post-Brexit) rend la place financière française plus attractive pour des profils de haut niveau
- Profils entrepreneuriaux en quête de sécurité : Des fondateurs de fintechs ou de structures indépendantes peuvent privilégier temporairement la stabilité d'un employeur établi
- Consultants spécialisés prêts à rejoindre des postes internes : La réduction des budgets de conseil pousse certains experts à envisager une intégration chez leurs anciens clients
Pour les entreprises disposant d'une vision à long terme et d'une relative solidité financière, cette situation constitue une opportunité rare d'attirer des talents habituellement hors de portée.
L'accélération de l'innovation RH sous contrainte
La pression économique agit également comme un catalyseur d'innovation dans les pratiques de recrutement et de gestion des talents :
- Adoption accélérée des technologies d'évaluation à distance : Généralisation des outils d'assessment digitaux permettant d'évaluer plus précisément l'adéquation des candidats
- Développement de modèles d'emploi flexibles : Émergence de formules hybrides combinant sécurité et adaptabilité (temps partagé, freelancing régulier, etc.)
- Approches plus analytiques du recrutement : Renforcement des pratiques de "people analytics" pour objectiver les décisions d'embauche et optimiser les investissements RH
- Collaboration inter-entreprises : Mise en place de plateformes de mobilité partagées entre institutions financières pour optimiser l'allocation des talents au niveau sectoriel
- Intégration des critères ESG dans les stratégies de recrutement : Valorisation des compétences liées à la finance durable et responsable, désormais considérée comme un vecteur de résilience
Ces innovations forcées par la conjoncture ont le potentiel de transformer durablement les pratiques du secteur en les rendant plus agiles et plus efficientes.
Conclusion : Transformer l'adversité en avantage stratégique
La crise économique que traverse actuellement la France transforme profondément le paysage du recrutement dans le secteur financier. Ralentissement des embauches, précarisation des contrats, perturbation des cycles habituels... les défis sont nombreux et appellent une adaptation rapide des stratégies RH.
Cependant, comme dans toute période de turbulence, les opportunités existent pour les organisations capables d'adopter une vision à la fois réaliste et prospective. Les entreprises qui parviendront à maintenir une politique de recrutement stratégique – ciblée sur les compétences d'avenir, innovante dans ses approches et attentive aux talents momentanément disponibles – sortiront renforcées de cette période difficile.
Pour les professionnels du recrutement spécialisés dans le secteur financier, l'enjeu est désormais de se positionner comme de véritables partenaires stratégiques, capables d'accompagner leurs clients dans cette transformation sous contrainte. Au-delà de la simple mise en relation, c'est un conseil global sur l'acquisition et le développement des talents en environnement incertain qui devient la véritable valeur ajoutée.
Dans ce contexte exigeant mais riche d'enseignements, la collaboration entre directions financières, ressources humaines et cabinets spécialisés n'a jamais été aussi cruciale pour construire les équipes résilientes qui façonneront la finance de demain.
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